Chapitre 1: Jacques Lefèvre d’Etaples

La Réforme, ce grand mouvement qui renouvelle tout sur son passage, est sur le point d’élargir son territoire.  Déjà elle a touché l’Angleterre, l’Allemagne, la Suisse, la Suède et le Danemark; son aube va maintenant poindre en France.  Son action s’étend et gagne en profondeur, ses adeptes se multiplient, et elle porte la promesse de fruits incomparables, que nul n’aurait imaginés.  Ce n’est pas le moindre des pays qui paraît maintenant sur le champ où s’affrontent les nations, pour récolter en cas de victoire, un avenir heureux et glorieux, et en cas de défaite, la décadence, la honte, et la ruine: à présent c’est la France qui est touchée par cette œuvre magistrale.

Au début du seizième siècle, la France occupe une place de choix en Europe. Elle peut même prétendre à un rôle de leader dans tout mouvement touchant les grandes nations.  Située au cœur de la civilisation occidentale, elle a de nombreux points de contact avec les autres royaumes de la chrétienté. Au sud-est s’étend la Suisse; à l’est l’Allemagne; au nord, les Pays-Bas. Un peu plus au nord, au-delà d’une mer facile à franchir, c’est l’Angleterre.  A toutes les portes de la France, excepté celles qui donnent sur l’Espagne et sur l’Italie, la Réforme n’attend qu’une occasion pour entrer.  La France ouvrira-t-elle la porte, accueillera-t-elle à bras ouverts ce mouvement?  Si oui, la flamme du protestantisme trouvera une position privilégiée, une position centrale, et sa lumière se diffusera dans les alentours, apportant un éclat nouveau dans les lieux où la lumière point déjà, et dissipant la nuit là où les ombres s’attardent encore.

En raison des riches dispositions naturelles de ce peuple, il est à souhaiter que la France fasse bon accueil à la Réforme; en tout cas cela est désirable.   Le génie français fait preuve de grandes capacités d’adaptation.  Vif, enjoué, tranchant et subtil, il est capable de s’attacher à des travaux analytiques autant que de créer d’admirables poèmes et d’atteindre des sommets intellectuels.  Il n’est point de branche de la littérature où les français n’aient excellé.  Il en va de même dans les domaines du théâtre, de la philosophie, de l’histoire, des mathématiques, et de la métaphysique.  Greffé sur un génie aussi fin que solide, aussi enjoué en même temps que capable de profondeur – en  un mot, sur un génie aux multiples facettes – le  protestantisme sera mis en valeur sous bien des éclairages nouveaux, et fera des convertis là où jusqu’à présent il n’était pas grandement apprécié, là où on avait fait aussi peu de cas de lui que d’“une racine sortant d’une terre desséchée”.

Ici s’ouvre une des pages les plus grandes et les plus tragiques de l’histoire.  Ce mouvement qui arrive en France va creuser un gouffre profond et cruel au sein de la nation.  Quelle que soit la cause à laquelle il s’attache, le Français s’y consacre en général avec enthousiasme; et tout ce qu’il combat, il le combat avec un égal enthousiasme.  Au fur et à mesure que l’histoire se déroulera, les bouleversements, les espoirs et les craintes se succèderont.  Le lecteur va pour ainsi dire traverser une galerie sublime, dominée de part et d’autre par des colosses.  D’un côté se dressent des géants de la méchanceté, et de l’autre, des géants de la vertu: des hommes dont l’âme est affermie par la piété et par la foi en Dieu, et qui ont atteint les sommets de l’endurance, du sacrifice de soi, de l’héroïsme.  Et à la fin de tout cela il y aura une leçon à retirer, une leçon claire et solennelle. Nous pouvons à juste titre affirmer que la France a davantage glorifié la foi protestante en la rejetant que ne l’ont fait d’autres nations en l’acceptant.

On est en 1510.  C’est Louis XII, le souverain le plus sage de son époque, qui occupe le trône de France.  Dans la ville de Tours il vient de convoquer un Parlement pour trancher cette question: est-il juste de faire la guerre au pape, qui viole les traités et défend ses injustices en recrutant des soldats et en livrant bataille?  C’est le pape guerrier Jules II qui est à présent sur  le trône du Vatican, succédant à un Borgia.  Il ne connaît pas la théologie; il n’est ni enclin ni apte à s’acquitter des devoirs spirituels qui sont les siens.  Jules II passe tout son temps dans les camps militaires et sur les champs de bataille.  Conduite par ce prêtre belliqueux, la chrétienté ne connaît guère de repos.  Louis de France, un homme humble et droit, s’inquiète: d’où cette question qu’il soumet à son Parlement.  La réponse de ce dernier en dit long sur la décadence morale de la papauté d’alors, et sur le mépris que rencontrent les foudres papales: “Le roi peut légitimement non seulement se défendre, mais mener contre un tel homme une action offensive.”  Encouragé par l’avis de son Parlement, Louis XII ordonne à ses armées de se mettre en route.  Deux ans plus tard, il fait frapper à Naples une médaille portant ces mots: Perdam Babylonis nomen [Je détruirai le nom de Babylone], ce qui en dit long sur son opinion personnelle quant à la papauté et au Pontife occupant alors le trône.  De tels symptômes sont annonciateurs d’une époque nouvelle.

D’autres événements montrent également qu’une époque touche à sa fin et qu’une ère nouvelle va s’ouvrir.  Lassés d’un Pape qui s’emploie uniquement à réunir des armées et à conquérir des villes et des provinces, qui est constamment présent sur le champ de bataille mais jamais dans la chaire, l’Empereur Maximilien I et le Roi Louis XII de France tombent d’accord pour réunir un Concile “en vue de la Réformation de l’Eglise, de son chef et de ses membres”. Réuni à Pise, ce Concile appelle le Pape à comparaître devant lui.  Jules II refuse d’obtempérer.  Le Concile le suspend de ses fonctions et interdit à tout le peuple de lui obéir.  Le Pape traite le décret des Pères Conciliaires avec tout autant de mépris que leur convocation.  Convoquant un autre Concile au Latran, il annule celui de Pise ainsi que tous ses décrets,  menace d’excommunier Louis XII, suspend “l’office divin” en France, et livre ce royaume à quiconque veut et peut s’en emparer.  Un Concile s’oppose à un autre Concile; le projet de réforme des deux souverains avorte. Ce sera encore le cas pour des tentatives ultérieures de même nature.

La convocation d’un Concile, c’est l’unique remède connu à cette époque pour les maux innombrables qui s’abattent sur le monde.  Chaque fois qu’une crise survient, on a recours à ce moyen.  Mais Dieu va planter au sein de cette société un principe nouveau, le germe d’une régénération.

A sa mort en 1513, Jules II est entièrement pris par son Concile du Latran. C’est le Cardinal Jean de Médicis, Léon X, qui lui succède sur le trône papal.  A son avènement, les mœurs romaines changent.  Un courant de corruption reste sous-jacent, mais à la surface, il en va autrement.  Au Vatican on n’entend plus le bruit des armes.  Le palais du Pape est fréquenté non plus par des soldats, mais par des troupes d’artistes, de musiciens, de comédiens et de bouffons.  Les conversations ne tournent plus autour des batailles, mais des tableaux, des statues, des danseurs.  Peu après, Louis XII décède également.  Il meurt le 1er janvier 1515, et c’est son neveu, François I, qui lui succède.  Le nouveau Pape et le nouveau roi ont beaucoup de traits communs.  L’un et l’autre sont des hommes de la Renaissance, possédant ce raffinement extérieur, ce sens esthétique inné que confère la Renaissance à tous ceux qu’elle touche.  Celle-ci reste cependant impuissante à corriger les passions intenses de ces hommes, leur obstination et leur égoïsme. L’un et l’autre aiment s’entourer de pompe.  François I a soif de renommée; Léon X a soif d’argent, et tous deux aiment les plaisirs.  Dans la main de la Providence qui contrôle souverainement toutes choses, les dispositions de ces deux hommes encouragent le grand mouvement qui se développe maintenant.

Un fleuve qui arrose de vastes royaumes, et dont les flots servent de véhicule au commerce de multiples nations prend parfois sa source en quelque point d’eau solitaire dans des collines perdues.  C’est le cas de ce fleuve d’eau vive qui s’apprête à se répandre sur la France.  Il commence par se manifester dans une seule âme. On est en 1510, et le bon Louis XII est encore sur le trône de France.  Un étranger en visite à Paris, pour peu qu’il soit dévot, remarquerait sans doute un vieil homme de petite taille et aux manières simples qui fait le tour des églises, s’incline devant les statues et récite pieusement les prières de son “Livre d’Heures”.  Dans sa modestie, ce petit homme sera pour la France ce qu’a été Wycliffe sur une plus vaste échelle pour l’Angleterre et pour le monde: “l’étoile du matin de la Réforme”.  Il s’appelle Jacques Lefèvre.  Né à Etaples en Picardie vers le milieu du siècle précédent, il a près de soixante-dix ans, mais a conservé sa santé et sa vigueur.  Toute sa vie, Lefèvre s’est  pieusement soumis au Pape, et l’ombre de la papauté plane encore sur lui; son âme n’est pas encore pleinement délivrée des superstitions ténébreuses.  Mais une promesse biblique va s’accomplir dans sa vie: “Vers le soir, la lumière paraîtra” (Zacharie 14:7).  Depuis longtemps il pressent qu’une lumière nouvelle va poindre sur la terre, et qu’il ne mourra pas avant de l’avoir vue de ses propres yeux.  Il convient d’être attentifs à cet homme, le premier à émerger des ténèbres qui couvrent son pays natal. A plus d’un titre, Lefèvre est un homme remarquable.  Curieux d’esprit, avec de grandes capacités intellectuelles, il brille dans la plupart des domaines connus à son époque: les langues anciennes, les belles-lettres, l’histoire, les mathématiques, la philosophie et la théologie.

Il a étudié tout cela. Dans sa soif de connaissance, il a tenu à enrichir son savoir en-dehors de son pays natal.  Il a visité l’Asie et l’Afrique et a exploré à peu près tout ce que le quinzième siècle finissant peut offrir.  A son retour en France, on lui a confié une chaire à la Sorbonne, la grande Faculté de Théologie de l’Université de Paris.  Il est entouré de disciples qui l’admirent.  Selon Erasme, il est “une étoile de première grandeur”, la plus brillante de toute la constellation des érudits. Il est  humble, doux, droit et rempli de bonté, aimé de tous ceux qui le connaissent.  Mais parmi ses confrères de l’Université, certains jalousent l’admiration qu’on lui porte, et on murmure que cet homme a tant vu de terres étrangères et tant étudié de sujets douteux qu’il doit bien être quelque peu hérétique, et déloyal envers “la Sainte Mère, l’Eglise”.

On se met à le surveiller.  Mais aux offices, nul n’est plus ponctuel ni plus assidu que lui.  Jamais il ne manque la messe.  Il prend toujours part aux processions, et personne ne reste plus longtemps à genoux que lui pour invoquer les saints.  Cet homme, le plus distingué des professeurs de la Sorbonne, dépose souvent des bouquets de fleurs devant les statues de Marie.  Ses ennemis ne trouvent rien à redire.

Pour offrir aux saints une guirlande plus durable et plus belle que les fleurs périssables dont il orne leurs statues, Lefèvre a l’idée de rédiger un nouveau recueil de “Vies des Saints”. Il a déjà réalisé une partie de ce projet quand la pensée lui vient que dans la Bible, il trouvera peut-être des matériaux ou des renseignements utiles.  Il se tourne donc vers la Bible, car il connaît les langues dans lesquelles elle fut rédigée à l’origine.  Sans s’en douter, il vient d’entrer dans un monde nouveau.  Il y découvre des saints différents de tous ceux qu’il connaissait jusqu’alors: des hommes canonisés par une autorité incomparablement plus haute que celle de Rome, dépeints sous l’inspiration du Saint-Esprit Lui-même.  A la lumière des vertus de ces saints véritables, les gloires des légendes hagiographiques pâlissent.  Lefèvre abandonne le projet auquel il a œuvré avec tant de zèle et de persévérance.

Maintenant qu’il a ouvert la Bible, Lefèvre n’a plus aucune envie de la refermer.  Il découvre non seulement que les saints bibliques diffèrent des saints du calendrier romain, mais que l’Eglise biblique diffère de l’Eglise romaine.  Après avoir vénéré des statues de Paul et de Pierre, voilà que le Docteur d’Etaples découvre les Epîtres de Paul et de Pierre.  Après avoir écouté la voix de l’Eglise, il écoute à présent la voix de Dieu.  Il découvre comment l’homme pécheur est gratuitement justifié par la foi.  C’est une révélation soudaine; c’est comme le jour qui se lève.  En 1512, Lefèvre publie un commentaire des Epîtres de Paul.  La Bibliothèque Royale de Paris en conserve encore un exemplaire.  Il y déclare: “C’est Dieu qui nous donne, par le moyen de la foi, la justice qui par pure grâce, justifie pour la vie éternelle.”  Le jour s’est levé.  Cette simple phrase de Lefèvre en témoigne.  Ce n’est qu’un seul rayon, mais un rayon de lumière véritable.  Il vient du ciel: c’est la lumière divine, et elle va disperser les ténèbres qui couvrent la France.  Par elle déjà, l’âme de Lefèvre est délivrée des bondieuseries.  Il en sera de même pour ses étudiants et pour ses concitoyens.  Il sait qu’il n’a pas reçu cette lumière pour la mettre sous le boisseau.  Sans doute n’y a t-il pas d’endroit plus dangereux que la Sorbonne pour proclamer cette doctrine.  Là, depuis des siècles, seuls des scolastiques ont pu prendre la parole.  Proclamer dans la citadelle de la scolastique cette doctrine qui va pulvériser la doctrine séculaire et prétendument éternelle de ces auteurs, c’est inviter même les pierres de ces murs vénérables à crier; c’est attirer une tempête de courroux scolastique sur la tête d’un novateur imprudent.  Lefèvre a atteint l’âge où typiquement, l’on devient prudent ou même timide.  Tout à fait conscient des risques qu’il court, il n’en va pas moins de l’avant et se met à enseigner la doctrine du salut par la grâce.

Autour de la chaire professorale dont émane ce message insolite, le vacarme s’élève. Les étudiants de ce vénérable enseignant accueillent très diversement la nouvelle doctrine.  Le visage de certains montre avec quelle joie ils la reçoivent.  On dirait des hommes dont le regard vient d’embrasser une perspective glorieuse, ou qui viennent tout à coup de découvrir ce qu’ils cherchaient en vain depuis longtemps.  D’autres visages expriment l’étonnement ou le doute. Les sourcils froncés ou le regard furieux de certains autres trahissent leur colère envers celui qui, selon eux, détruit les fondements même de toute morale.  L’agitation qui règne dans la salle de cours de Lefèvre gagne bientôt toute l’Université.  Les docteurs de la Sorbonne sont dans tous leurs états.  De partout fusent des objections et des raisonnements. Tantôt ils sont futiles, tantôt ils expriment des préjugés ineptes ou de la haine pour la nouvelle doctrine.  Mais il s’agit parfois d’objections honnêtes, et Lefèvre répond avec soin, désireux de démontrer que sa doctrine ne constitue en rien un “permis de pécher”.  Il explique que cette doctrine n’est pas nouvelle, mais fort ancienne; qu’il n’est pas le premier à la proclamer en France, mais qu’Irénée de Lyon l’a prêchée bien avant que la théologie scolastique n’existât.  Il explique que cette doctrine n’est ni celle de Lefèvre, ni celle d’Irénée, mais celle de Dieu qui l’a révélée aux hommes dans Sa Parole.

Des grondements lointains se font entendre, annonçant une tempête. Mais elle n’éclate pas encore.  Pendant ce temps Lefèvre poursuit son œuvre, et dans son âme la lumière se fait plus vive de jour en jour.  Remarquons bien que nous sommes encore en 1512.  En France, personne ne prononce encore le nom de Martin Luther.  Le moine de Wittenberg n’a pas encore affiché ses Thèses contre les Indulgences sur la porte de la “Schlosskirche”.  Une chose est certaine: cette Réforme qui commence à fleurir sur le sol français ne provient pas d’Allemagne.  Les coups de marteau de Luther clouant ses thèses, comme on sonnerait le glas de l’ère ancienne, n’ont pas encore retenti à Wittenberg. Mais sous les voûtes de la Sorbonne, la voix de Lefèvre proclame l’ère nouvelle.  En France, la Réforme vient directement de la Bible,  de même que le jour levant qui éclaire les monts et les plaines vient du ciel.  Et pour tous les pays que touche la Réforme, cela se passera de la même manière qu’en France.  Comme Dieu Lui-même, la Parole de Dieu est lumière. Après la longue nuit, de cette source éternelle et inépuisable naît une aube qui brille sur les nations au matin du seizième siècle.

Chapitre 2: Farel, Briçonnet, et les premiers Réformateurs en France

Parmi les jeunes gens qui se rassemblent autour de la chaire du vieux Lefèvre, il y en a un qui retient particulièrement notre attention.  On voit bien qu’il existe un attachement d’une exceptionnelle qualité entre l’étudiant et l’enseignant.  Aucun autre étudiant n’est suspendu aux lèvres du professeur autant que ce jeune homme, et le maître n’en regarde aucun autre avec davantage de bonté.  Ce jeune homme ne vient pas de France; il est né dans les Alpes du Dauphiné, à Gap, près de Grenoble, en 1489.  Il s’appelle Guillaume Farel.  Ses parents, au regard des critères de leur époque, sont exceptionnellement pieux.  Jamais la lumière du matin ne fait flamboyer les blancs sommets entourant leur demeure sans que la famille ne se rassemble pour réciter le chapelet.  Jamais le soir ne tombe, faisant rougeoyer puis pâlir les Alpes, sans que la famille ne chante l’hymne traditionnel à la Vierge.  Les parents de ce jeune homme (c’est lui-même qui nous le fait savoir) croient tout ce que les prêtres leur disent, et lui-même croit tout ce que disent ses parents.  Tel est le milieu dans lequel il se développe jusqu’à l’âge de vingt ans: toute la journée, il a sous les yeux les splendeurs de la nature, mais année après année, les ténèbres de la superstition envahissent son âme.  Il a l’impression que la gloire des Alpes et la gloire de l’Eglise se mêlent, au point de ne faire qu’un dans sa pensée.  Il aurait autant de mal à croire que Rome, avec son Pape, ses saints prêtres, ses rites et ses cérémonies, sont pétris de  superstition, qu’à croire que les hautes montagnes autour de lui, avec leurs neiges et leurs forêts de pins, ne sont qu’illusion et trompe-l’œil, un pur mirage susceptible de se disparaître comme une fumée enchanteresse.  “Je grinçais des dents comme un loup enragé, dit Farel à propos de sa dévotion aveugle d’alors envers Rome, si jamais quelqu’un osait critiquer le Pape.”

Son père voulait pour lui une carrière militaire, mais le jeune Farel aspire à faire des études.  Jusque dans cette vallée lointaine parviennent des échos de la renommée de la Sorbonne, et il a soif des eaux du savoir.  Peut-être les paysages sublimes qui l’environnent constamment stimulent-ils les aspirations de son esprit naturellement ardent.  En 1510 il se met en route pour Paris, se présente aux portes de l’Université, et s’inscrit comme étudiant.  C’est là que le jeune Dauphinois fait la connaissance du docteur d’Etaples.  A priori ils ne semblent guère avoir d’affinités l’un pour l’autre; apparemment ils ont peu de raisons de s’apprécier mutuellement.  L’un est jeune et l’autre avancé en âge. L’un est enthousiaste, et l’autre timide. Mais ce ne sont là que des différences superficielles.  Leurs âmes ont des prédilections communes: l’un et l’autre sont animés de sentiments élevés, sont sans égoïsme, et particulièrement pieux, en un temps où prévalent le scepticisme et les mœurs dissolues.  Leur piété est aussi sincère qu’ardente.  C’est elle surtout qui les rapproche l’un de l’autre; et leurs différences, loin d’affaiblir leur amitié, ne font que la consolider.  Le vieux professeur et le jeune disciple se déplacent souvent ensemble, visitant les mêmes sanctuaires, s’agenouillant devant les mêmes statues.

Mais à présent, la pensée de Lefèvre subit une transformation qui peut soit les séparer à tout jamais, soit les unir plus étroitement encore.  Une aube spirituelle se lève dans l’âme du docteur d’Etaples.  Son jeune disciple entrera-t-il dans ce monde nouveau dans lequel Lefèvre se sent transporté?  Dans ses cours publics, de temps à autre Lefèvre sème quelques miettes de cette connaissance nouvelle qu’il puise dans la Bible.  “Le salut s’obtient par la foi”, dit le professeur à ses étudiants.  “L’Innocent a été condamné pour que le criminel soit acquitté.” “Seule la croix du Christ ouvre les portes du ciel et ferme celles de l’enfer.”  De telles paroles font sursauter Farel.  Que signifient-elles donc?  Où vont-elles le mener?  Est-ce donc en vain qu’ils ont fait toutes ces visites aux “saints”, passant tant d’heures à genoux devant leurs statues?  Toutes les paroles murmurées alors sont-elles tombées dans le vide?  Farel repense aux enseignements reçus pendant son enfance, aux dévotions familiales, à la majesté des montagnes, associées dans sa pensée aux croyances qu’il a absorbées dans ce cadre.  Tous ces souvenirs l’assaillent comme autant de réprimandes.  Il voudrait bien retrouver son Dauphiné natal et la paisible splendeur de ses montagnes pour échapper aux doutes qui le tourmentent.

Farel n’a que deux possibilités: ou bien il avancera vers la lumière avec Lefèvre, ou bien il reniera son maître en le traitant d’hérétique, et il plongera dans des ténèbres profondes.  Heureusement, Dieu l’a préparé à cette crise.  Depuis quelque temps, le jeune étudiant connaît une tempête intérieure.  Il a perdu la paix.  Il a beau se livrer à des austérités de plus en plus rigoureuses, il n’arrive pas à la retrouver.  Il est en proie à ce que l’Ecriture appelle “les terreurs de la mort et les tourments de l’enfer”.  C’est alors qu’il entend cette parole: “Seule la croix de Christ ouvre la porte du ciel.”  Farel comprend que seul ce salut-là est pour lui, et que si jamais il doit être sauvé, ce ne peut être que “par grâce”, “sans argent, sans rien payer”.  Il s’efforce de passer par la porte que lui montrent les paroles de Lefèvre. Il rejoint son professeur dans le monde nouveau que Lefèvre connaît depuis peu.  La tempête cesse.  Il est maintenant dans les eaux paisibles d’un port.  “Je vis alors, dit-il, toutes choses sous un jour nouveau.”  L’Ecriture Sainte est devenue lumineuse.  “A la place du cœur meurtrier d’un loup ravisseur,  j’avais celui d’un agneau humble et doux.  Mon cœur n’appartenait plus au Pape: il était entièrement livré à Jésus-Christ.”  Pendant une brève période, Jacques Lefèvre et Guillaume Farel brillent comme deux étoiles jumelles dans le ciel matinal de France.  L’influence de Lefèvre s’exerce dans la discrétion, mais n’en est pas moins efficace.  Elle consiste surtout à semer dans l’esprit ardent des jeunes qui l’entourent les vérités essentielles qui seront celles du protestantisme.  Par la suite, ces hommes proclameront ces doctrines dans la chaire, ou rendront un ultime témoignage sur leur lieu d’exécution.  Théodore de Bèze dira: “Lefèvre fut cet homme qui apporta le réveil avec la pure religion de Jésus-Christ; et de même que jadis les meilleurs orateurs sortirent de l’école de Socrate, de même de l’école du docteur d’Etaples sortirent nombre des meilleurs hommes de ce temps et de l’Eglise.” Pierre Robert d’Olivétan, le premier traducteur de la Bible à s’appuyer sur le texte de Lefèvre, est sans doute du nombre de ceux qui reçoivent la vérité proclamée par le docteur d’Etaples.  Plus tard c’est d’Olivétan qui entraînera au service de la foi protestante le plus grand défenseur que la France – ou même le monde – ait jamais connu: Jean Calvin.

Lefèvre sème dans sa salle de cours; Farel, pleinement libéré du joug papal, n’écoute que les doctrines de la Bible et s’en va prêcher dans les églises.  Il proclame l’Evangile sans compromis, avec autant de zèle qu’il en mettait jadis à défendre la papauté.  “Jeune et résolu, dit Félice, il fait entendre sur les places publiques et dans les églises sa voix retentissante.”  Pendant une courte période, il œuvre à Meaux, là où le protestantisme remporte ses premiers succès.  Quand la tempête de la persécution l’oblige peu après à quitter la France, Farel se dirige vers les hautes montagnes de son pays d’origine.  Puis il prêche en Suisse avec un courage qu’aucune violence ne parvient à faire fléchir, et avec une éloquence qui attire de vastes auditoires.  Il introduit la Réforme dans son pays natal, puis plante la croix sur les rives du lac de Neuchâtel et sur celles du lac Léman, avant de la porter au-dedans des murs de Genève, où nous le retrouverons plus tard.  Comme un pionnier, il ouvre la voie pour Calvin.

Nous venons de voir deux figures, Lefèvre et Farel, particulièrement éminents en cette aube de la Réforme.  Il convient d’en évoquer une troisième, dont l’histoire est fort intéressante, mais attristante.  Après le docteur d’Etaples, personne ne joue de rôle plus marquant dans l’introduction du protestantisme en France que cet homme sur lequel nous allons nous arrêter à présent.  Il s’agit de Guillaume Briçonnet, Comte de Montbrun et Evêque de Meaux.  Cette ville est à huit lieues à l’est de Paris.  Plus tard, une autre illustre figure des annales ecclésiastiques, Bossuet, sera également Evêque de Meaux.  Issu d’une famille noble et réputée, chargé d’affaires pour le compte du roi François I, Briçonnet  accomplit une mission à Rome.  C’est un pape des plus prestigieux, Léon X, qui règne au Vatican; le séjour romain de Briçonnet lui permet de voir la papauté au sommet de sa gloire, mais ayant un peu perdu de sa puissance.

L’Evêque de Meaux est donc envoyé comme ambassadeur auprès de ce même pape, qui, dit-on, s’est exclamé: “Quel profit pour nous dans cette fable du Christ !”  Pour Luther dans sa cellule monastique, seul avec ses péchés et sa conscience, l’Evangile est une réalité. Pour Léon X, qui siège au milieu de ses statues, de ses tableaux, de ses courtisans et de ses danseurs, l’Evangile est une fable.  De cette “fable”, Rome a tiré grand profit.  De ce fait, Rome est remplie non de vertus, mais de dignitaires parés d’or, d’honneurs éblouissants, de délices et de voluptés.  A cause de cette “fable”, les ministres de l’Eglise sont vêtus de pourpre, attablés chaque jour devant des mets somptueux, transportés dans des voitures tirées par des chevaux fringants, et suivis d’un cortège de laquais en livrée.  Le soir ils étendent leurs membres lassés sur des couches de duvet; ils sont en effet épuisés, non par les veilles ou par les études, ni par le soin des âmes, mais par les plaisirs de la chasse et de la table.  Dans les rues de Rome, jamais les violes, les tambourins et les harpes ne se taisent.  Les citoyens romains n’ont besoin de ni de travailler ni de filer, ni de retourner la terre, ni de sillonner les mers, car le blé et l’huile, l’or et l’argent de la chrétienté affluent vers eux.  Ils répandent à flots le vin dans leurs banquets, et le sang les uns des autres dans leurs querelles.   Rome en ce temps-là est la patrie du luxe et des plaisirs, des bouffonneries et des vilenies, des intrigues les plus noires et des crimes de sang.  A son élection, Léon a dit à son neveu Julien de Médicis: “Nous prenons plaisir à notre condition de pape, puisque Dieu nous l’a accordée.”

Cependant le personnage principal sur cette scène de théâtre est la religion, “la fable”, comme Léon X l’a appelée.  Les cloches retentissent à longueur de journée.  Même la nuit, elles ne se taisent pas, faisant savoir au visiteur que des prières et des louanges montent des oratoires et des sanctuaires de Rome.  Presque à chaque coin de rue se dresse une église ou une cathédrale; les rues sont remplies de statues et de crucifix.  Des cierges et des motifs religieux sanctifient les demeures.  Heure après heure, des processions de prêtres tonsurés, de moines encapuchonnés, et de religieuses voilées défilent, portant des bannières et psalmodiant dans des nuées d’encens.  Chaque jour c’est une nouvelle cérémonie, une nouvelle fête, encore plus somptueuse que celle de la veille.  Quelle énigme pour l’Evêque de Meaux!  Quelle ville étrange, cette Rome, remplie de religion, mais désertée par la vertu!  Quelles splendides cérémonies, mais quel culte glacial!  Comme les prêtres sont nombreux et magnifiquement vêtus!  Si seulement ils brillaient par leur vertu autant que par leurs habits, la cité papale serait la ville la plus merveilleuse de l’univers.  C’est sans doute ce que se dit Briçonnet pendant son séjour à la cour de Léon X.  Puis vient le moment où l’Evêque de Meaux doit quitter Rome et rentrer en France.  Pendant ce voyage, il a de nombreux sujets de méditation – bien plus qu’à l’aller.  On peut l’imaginer, parvenu aux premiers contreforts de l’Apennin, se retournant vers la pléiade de tours et de dômes marquant la place de Rome au cœur de la Campagne romaine, et se disant: “Peut-être que pour une fois, le Pape a prononcé une parole infaillible.  Peut-être bien qu’en fin de compte cette puissance trônant au milieu de l’orgueilleuse méchanceté de ce monde n’est qu’“une fable.”  Autrement dit, il en va pour Briçonnet comme pour Luther.  A son retour de Rome, il est beaucoup moins “fils de l’Eglise” qu’il n’était avant d’y arriver.  En arrivant en France, il trouve la situation changée.  Les scènes dont il a été témoin à Rome l’ont préparé à ce qui l’attend en France.  De retour dans son diocèse de Meaux, il apprend avec étonnement ce qui s’est passé à Paris pendant son absence.  Dans le ciel de France, il y a une lumière nouvelle.  De nouvelles influences agissent dans les esprits. Ce bon évêque désire goûter à cette connaissance nouvelle qui transforme la vie et réjouit le cœur de tous ceux qui la reçoivent.  Il connaissait Lefèvre avant d’aller à Rome.  Quoi de plus naturel que de se tourner vers son vieil ami et de lui demander d’où vient cette influence à la fois si discrète et si puissante, cette influence qui transforme le monde?  Lefèvre lui met une Bible dans les mains: tout est dans ce livre.  Dans les pages de cet ouvrage mystérieux, l’évêque trouve ce qui lui a manqué à Rome: une Eglise sans trône pontifical, sans habits de pourpre, mais revêtue d’une splendeur plus haute, celle de la vérité et de la sainteté.  L’évêque comprend que c’est là l’épouse véritable de Christ.

En lisant la Bible, Briçonnet a la révélation de Christ en tant qu’Auteur du salut gratuit, en tant que Donateur de la vie éternelle sans la médiation de “l’Eglise”.  Cette connaissance est pour lui “de l’eau vive”, “une nourriture céleste.”  “Sa douceur est telle,  dit-il, que l’esprit n’est jamais rassasié.  Plus nous y goûtons, plus nous la désirons.  Quel est donc le réceptacle digne d’une pareille plénitude, de cette douceur inépuisable?”  Les lettres manuscrites de Briçonnet existent toujours.  Leur style fait penser à un labyrinthe rempli d’ornements, à l’instar de bien des productions de son temps, où l’on n’avait pas encore renoncé aux envolées métaphoriques pour revenir à la prose plus chaste des anciens; mais les sentiments de Briçonnet ne font pas de doute.  Il répudie les œuvres en tant que fondement de la justification du pécheur.  Il les remplace par l’œuvre parfaite de Christ, appréhendée par la foi.  Il accorde peu d’importance aux cérémonies extérieures et aux rites, déclare que la vraie religion se trouve dans l’amour pour Dieu et dans une vie personnelle sainte.  Cet évêque reçoit la nouvelle doctrine sans passer par les graves conflits intérieurs que Farel a connus.  Trouvant que la porte n’est pas si étroite que cela, il entre, peut-être un peu trop facilement.  Il prend place dans le petit cercle des disciples de l’Evangile en France, aux côtés de Lefèvre, Farel, Roussel, et Vatable, tous les quatre professeurs de l’Université de Paris.  Hélas, il n’est pas destiné à demeurer jusqu’au bout dans cette sainte assemblée.

Parmi ces cinq hommes appelés à la foi protestante dans ce royaume de France, le plus influent, sur le plan pratique, est l’Evêque de Meaux.  Toute la France, il le voit bien, a besoin de la Réforme: par où commencer?  A n’en pas douter, par son propre diocèse.  Ses recteurs et ses curés suivent les anciennes pratiques. Dilapidant leurs revenus dans les plaisirs parisiens, ils se font remplacer dans leurs paroisses de Meaux par des délégués ignorants.  Jadis, pour Briçonnet, de telles mœurs allaient de soi.  Aujourd’hui, il y voit un scandale criminel.  En octobre 1520 il publie un mandat dans lequel il déclare que “ce sont tous des traîtres et des déserteurs, ceux qui abandonnent leurs brebis en montrant à l’envi qu’ils ne les aiment que pour leur toison et leur laine.”  Il interdit en outre aux franciscains de monter en chaire dans son diocèse.  En effet lors des grandes fêtes, ces hommes faisaient leur ronde, armés de nouvelles plaisanteries pour amuser leurs auditeurs; ces derniers se chargeaient alors de remplir les bourses et les estomacs des moines.  Briçonnet interdit que l’on profane les chaires par de pareilles bouffonneries.  En évêque fidèle, il visite en personne toutes ses paroisses, réunit le clergé et les paroissiens.  Il enquête sur l’enseignement de l’un, sur les mœurs de tel autre.  Il ôte les curés ignorants, c’est-à-dire neuf membres du clergé sur dix, et les remplace par des hommes capables d’enseigner, bien rares à cette époque-là.  Pour remédier au grand mal de son temps, c’est-à-dire à l’ignorance, il fonde un séminaire théologique à Meaux. Là, sous ses yeux, on pourra former “des ministres capables, conformes au Nouveau Testament”.  En attendant, il fait de son mieux pour suppléer au manque d’ouvriers: il monte en chaire et enseigne lui-même, “ce qui depuis longtemps ne se faisait plus.”

Momentanément, nous quittons Meaux à présent, pour revenir à Paris.  L’influence de la conversion de Briçonnet se fait sentir parmi les personnages haut placés à la cour et dans les cercles littéraires de la capitale, mais aussi parmi les artisans et les paysans du diocèse de Meaux.  L’évêque a ses entrées au palais royal.  L’amitié de Briçonnet et du roi François I ouvre largement les portes pour répandre les idées de la Réforme parmi les philosophes et les savants dont ce monarque aimait s’entourer.  Un homme de haute naissance, portant la mitre épiscopale, était sûr d’être écouté là où un réformateur d’origine modeste solliciterait peut-être en vain une audience.  La cour de France réunit alors toute une galaxie de savants: Guillaume Budé, Joachim du Bellay, Nicolas Cop, médecin de la cour, et d’autres hommes tout aussi éminents.  A tous ceux-là, l’évêque communique une connaissance plus haute que celle des érudits de la Renaissance.  La plus illustre des converties est la sœur du roi, Marguerite d’Angoulême.

Maintenant apparaissent deux personnages que nous n’avons pas encore rencontrés, mais qui sont destinés à jouer un rôle important dans l’action qui commence.  L’un d’eux est François I, qui est monté sur le trône au moment où ce jour nouveau se levait en Europe.  L’autre est sa sœur Marguerite.  Le frère et la sœur ont beaucoup de qualités en commun.  L’un et l’autre sont beaux, raffinés, vifs d’esprit, magnanimes et généreux.  Doués tous deux d’une belle intelligence, ils aiment la littérature et la cultivent avec ardeur.  Le roi François, appelé parfois “le Miroir de la Chevalerie” réunit trois traits caractéristiques de son époque: la vaillance, le courage, et les qualités littéraires.  La Renaissance a contribué à exalter cette dernière disposition. Selon Guizot, “François I avait reçu de Dieu tous les dons pouvant parer un homme: il était grand, beau, et plein de force; son armure, qui est conservée au Louvre, est celle d’un homme d’environ un mètre quatre-vingts.  Son regard était brillant et doux, son sourire gracieux, et ses manières agréables.”

François I aspire à être un grand roi, mais son instabilité morale, qui ternit ses grandes qualités, ne le permettra pas.  Tous ses parcours sont très prometteurs à leur début, mais il flanchera avant d’atteindre le but.  Le jeune monarque espagnol va lui damer le pion sur le plan militaire.  Malgré ses grandes capacités, et quoiqu’il s’entoure d’hommes talentueux, sous son règne la France restera au second rang sur le plan politique.  Il va chasser de son territoire le plus grand théologien de son temps. C’est l’Angleterre qui connaîtra la gloire littéraire que François I aurait bien voulu associer à son propre nom et à son trône.  Il aime passionnément sa sœur, l’appelant “sa mie”, et Marguerite lui rend bien son affection.  Pendant un temps, ils partagent la même vie, les mêmes goûts; puis vient le jour où ils doivent se séparer.  Marguerite partage les frivolités de la cour, mais ne se laisse pas souiller par les vices de cette dernière.  C’est alors que la lumière de l’Evangile brille sur elle: elle se tourne vers son Sauveur.  François hésite un moment entre Rome et l’Evangile, entre les plaisirs de ce monde et les joies éternelles.  Il finit par choisir, mais à l’opposé de sa sœur, la belle et talentueuse Marguerite.  Il mise sur Rome, engageant sa couronne, son royaume, et son salut éternel.  Et il engage le combat contre la Réforme.

Revenons à Marguerite, qui par sa grâce et sa beauté est le fleuron de la cour.  Ses brillantes qualités intellectuelles lui valent l’admiration et les hommages de tous ceux qui la connaissent. Pourtant cette princesse si distinguée commence à se sentir malheureuse.  Elle a le cœur lourd; toutes les réjouissances qui l’entourent ne parviennent pas à l’égayer.  Elle est en proie à ce malaise, sans bien en comprendre la raison, lorsqu’en 1521 elle fait la connaissance de Briçonnet.  Il discerne tout de suite la cause de ce chagrin qui pèse sur son cœur, et lui donne ce même livre que Lefèvre lui avait autrefois remis: une Bible.  Après avoir étudié avec passion la Parole de Dieu, dans son amour pour son Sauveur Marguerite oublie ses craintes et ses péchés. En Lui elle reconnaît l’Ami qu’elle cherchait vainement depuis toujours au milieu des réjouissances qui l’environnaient.  Elle reçoit une force et un courage qu’elle n’avait jamais connus.  Son cœur est habité par la paix: elle n’a plus le sentiment d’être seule au monde.  Désormais elle a un Ami vers lequel elle se tournera pendant les heures sombres où elle devra affronter le déplaisir de son frère François, et où la cour la tournera en dérision avec subtilité et raffinement.

Au travers de la conversion de Marguerite, la Providence miséricordieuse prépare une protection pour les mauvais jours à venir.  De terribles tempêtes s’approchent; Marguerite ne pourra les empêcher d’éclater, mais elle sera en mesure d’atténuer leur rudesse.  Elle est proche du trône.  Parfois la douceur de son esprit parvient à tempérer la fureur des passions de son frère.  Avec tact et discrétion, elle l’emporte sur le complot d’un moine, elle casse la chaîne d’un martyr. Grâce à elle, de nombreuses vies seront épargnées au profit de la Réforme, au lieu de se terminer sur l’échafaud.

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