Le monde, c’est vrai, a progressé régulièrement, et chaque époque a porté la société un peu plus haut que lors de la période précédente. Mais force nous est de constater un fait: la superstition s’est développée au même rythme que la vérité. Depuis le commencement, l’une est la contrepartie de l’autre; et ce sera vraisemblablement le cas tant que l’une et l’autre coexisteront sur la terre. A l’origine, l’idolâtrie avait un credo sommaire et des formes simples; de même, les vérités qu’on connaissait alors étaient peu nombreuses et simples. Dans l’économie juive, quand la vérité s’exprima au travers d’un système doctrinal accompagné de rituels établis, alors l’idolâtrie produisit tout un système de subtilités métaphysiques propres à piéger la pensée, et tout un cérémonial destiné à éblouir les sens. Sous la dispensation chrétienne, quand la vérité s’est développée avec le plus d’ampleur, l’idolâtrie s’est également déployée plus que par le passé, au moins dans les formes, sinon dans le fond. L’idolâtrie papale est un système plus complexe, plus subtil, plus destructeur et plus perfectionné que l’idolâtrie païenne. En l’occurrence, ce développement était inévitable. Toute découverte d’une vérité entraîne le développement de l’erreur inverse. Dans la mesure où la vérité attaque sur plusieurs points, l’erreur ne peut que multiplier ses points de défense. Quand une ligne se prolonge, l’autre doit forcément se prolonger aussi. Cependant il y a une différence fondamentale entre ces deux développements. Chaque vérité nouvelle vient ajouter une fortification imprenable d’un côté, alors que de l’autre, vient s’ajouter une position intenable de plus, ce qui affaiblit encore un peu la ligne de défense. La vérité est immortelle, car elle est en harmonie avec les lois gouvernant l’univers: donc plus elle se développe, plus elle possède de points d’ancrage sur le gouvernement de Dieu. Plus l’erreur se développe, plus nombreux sont les points où elle entre en collision avec le gouvernement divin. D’un côté, donc, c’est la force qui augmente, et de l’autre, c’est la faiblesse. C’est pourquoi le plein développement de la vérité annonce le triomphe de cette dernière, et le plein développement de l’erreur annonce sa défaite.

Au départ, l’idolâtrie était forcément unie, ayant surgi de sources identiques issues du fond des âges. Au fil du temps, elle s’est ensuite diversifiée, et elle a reçu des appellations différentes, des noms qui varient d’un pays à l’autre. La philosophie des Mages l’avait emporté depuis longtemps en orient; en occident c’était le polythéisme romain qui prédominait. La Grèce, trait d’union entre l’Asie et l’Europe, unissait l’idolâtrie orientale, contemplative et subtile, à celle de l’occident, grossièrement laxiste. Le résultat fut une mythologie aussi originale que sensuelle. Ces idolâtries procédaient toutes de la même essence, aussi leur effet était-il toujours et partout le même: elles éloignaient de Dieu les cœurs humains, en limitant le regard des hommes à ce qui frappe les sens; elles suscitaient une forte aversion pour la contemplation d’un Etre spirituel, et une incapacité à comprendre et à retenir une vérité spirituelle et abstraite. Depuis longtemps, ces cultes idolâtres avaient passé leur apogée, mais la marque profonde qu’elles avaient imprimée à l’esprit humain demeurait. Cette marque néfaste ne pouvait être effacée que par un lent processus correctif. Ces superstitions avaient pendant bien longtemps dominé la terre, et l’avaient comme imprégnée de leurs principes détestables. Elles ne pouvaient être éradiquées que par un affrontement long et douloureux avec le christianisme. Après les premiers triomphes de l’Evangile, il fallait s’attendre à une contre-attaque. L’idolâtrie antique, remise de sa déroute, allait se ressaisir, refaire surface et prospérer à nouveau, non sous les mêmes formes qu’autrefois (car ni la superstition, ni l’Evangile ne revivent jamais exactement sous les mêmes formes) mais sous une forme nouvelle adaptée à l’état du monde. On allait devoir faire face à un nouvel antagoniste. Satan allait se lancer dans une ultime bataille, absolument sans précédent, avant d’abandonner à Christ le gouvernement du monde. Vraisemblablement, dans ce conflit à venir, toutes les idolâtries allaient se fondre  en une même phalange. Très vraisemblablement,  les animosités et les rivalités qui les avaient jusque là séparées allaient cesser. Les diverses écoles, les diverses sectes allaient former une coalition. Reconnaissant dans la foi chrétienne leur adversaire commun, devant un tel danger elles allaient retrouver le sens de la fraternité qui les unissait. Tous ces systèmes mensongers allaient donc s’unir pour former un vaste système généralisé regroupant tous les principes hostiles, toutes les forces jadis dispersées. Ainsi unifiées, elles allaient engager le combat contre la Vérité.

Les symptômes de l’action de Satan ne tardèrent pas à se manifester: il y eut une renaissance du paganisme antique. L’ombre reculait sur le cadran solaire du temps. Les éléments spirituels commencèrent à céder le pas aux éléments symboliques et mythologiques. Les idolâtries diverses qui avaient jadis occupé le territoire tenu maintenant par l’Evangile étaient subjuguées mais non exterminées. Elles entreprirent de faire la cour au christianisme. Elles faisaient mine d’être des servantes qui rendaient hommage à leur Maître: or leur but, dans cette amitié perfide, n’était pas d’assister le Maître dans sa mission glorieuse, mais de s’assurer de son aide afin de régner à sa place. Elles le savaient bien: elles étaient en proie à la décrépitude qui s’empare tôt ou tard de tout ce qui naît de cette terre. Mais elles s’efforçaient de puiser une vitalité nouvelle les aspects vivants du christianisme, pour s’affranchir du fardeau de leur propre sénilité. La religion des Mages fit sa cour au christianisme en orient, et le paganisme fit de même en occident. Le judaïsme, s’estimant sans doute supérieur à l’un comme à l’autre, fit valoir ses revendications. Chaque courant apportait ses spécificités particulières, prétextant que le christianisme avait besoin d’elles pour être parfait. Le judaïsme apporta ses symboles morts. Les philosophies des Mages et de la Grèce apportèrent leurs spéculations et leurs doctrines subtiles et raffinées, mais mortes. Le paganisme romain amena ses dieux morts. De toutes parts le christianisme fut assailli par la tentation de renoncer à sa substance au profit de l’ombre. Ainsi les vieilles idolâtries se regroupèrent sous la bannière du christianisme. Prétendument réunies pour le soutenir, en fait elles s’étaient liguées pour le renverser.

Deux phénomènes étaient prévisibles. Premièrement, on pouvait s’attendre à ce que la corruption renaissante atteignît son apogée là où le maximum d’influences externes en favorisait le développement. Deuxièmement, ce développement refléterait les principales caractéristiques de chacune de ces idolâtries antiques. Ces deux suppositions s’avérèrent exactes. La papauté ne s’éleva ni en Chaldée ni en Egypte, dans ces berceaux de la pensée des Mages, et pas davantage en Grèce. En effet ces pays ne conservaient guère que des traditions héritées de leur puissance passée. Non, le système romain s’est élevé sur le sol des Sept Collines, parmi les trophées de victoires sans nombre, parmi les symboles impériaux universels, et les splendeurs souillées du polythéisme et ses rituels éblouissants. Un peu comme une semence se laisse emporter vers le terrain le plus favorable à sa germination, le paganisme moderne poussa ses racines dans le sol que le paganisme antique avait le plus fortement imprégné de ses influences. Toute hérésie établie aux alentours fut bien vite dominée et réduite à rien. La gnose, comme d’autres erreurs, déclina en proportion inverse de la croissance du romanisme. L’énorme tronc de cette institution absorba toutes les influences corrompues qui autrement auraient nourri les hérésies environnantes. Avec le temps, ces dernières disparurent; elles n’avaient pas cessé d’être, mais elles avaient été assimilées. Pour finir, on est en présence d’une sorte de panthéisme, du seul panthéisme véritable. Les  idolâtries mourantes ont réintégré le sein des divinités qui leur avaient donné naissance, et ont continué à vivre en elles. Le système papal est une nouvelle Babel, construite par les redoutables idolâtries antiques. Elle est un Panthéon spirituel qui héberge les superstitions locales comme les superstitions venues de loin. Elle est un immense mausolée où sont exposés en grande pompe les cadavres des paganismes défunts, comme les momies des moines au Kreutzberg. Les esprits désincarnés du paganisme habitent toujours le système papal et régissent le monde depuis leur tombeau. Analysez le système papal, et vous verrez que ces anciens systèmes s’y trouvent toujours. La philosophie des Mages s’épanouit à nouveau dans l’organisation monastique: en effet dans la vie conventuelle selon Rome nous retrouvons les états de conscience contemplatifs et les pratiques ascétiques si répandus en Egypte et dans tout l’Orient. Nous y découvrons aussi un principe philosophique fondamental, selon lequel le corps est le siège de tout ce qui est mauvais: on a donc le devoir d’affaiblir et de mortifier ce corps. Dans le système papal on retrouve les caractéristiques principales de la philosophie grecque, surtout dans la casuistique qu’enseignent les instituts de la papauté. A cela s’ajoutent des rites sensuels; comme dans la Grèce antique; de telles fêtes s’accompagnent souvent de pratiques grossièrement licencieuses. Finalement, on retrouve dans la papauté le polythéisme de la Rome antique, avec tous ses dieux et ses déesses qui maintenant, sous le titre de „saints”, remplissent le calendrier et les sanctuaires de l’Eglise romaine. En eux, les anciennes idolâtries reprennent vie. Il n’y a là rien de nouveau: seule est nouvelle l’organisation; elle est plus perfectionnée, plus complète que jamais. Pour ajouter une illustration de plus à celles qui précèdent, on peut affirmer que la papauté est l’accomplissement, sur une vaste échelle, d’une des paraboles de notre Seigneur. Avec l’arrivée du christianisme, l’empire romain a été comme balayé et orné; l’esprit impur qui l’habitait a été chassé, mais jamais il ne s’est éloigné de la région des Sept Collines. Ne trouvant point de repos, il est revenu avec sept autres esprits encore plus méchants que lui. Ils ont réinvesti son ancienne demeure, dont l’état est maintenant bien pire qu’avant. En vérité, la papauté se nomme „Légion”. „Il y a de nombreux antichrists”, écrivait l’apôtre Jean, car de son vivant les divers systèmes erronés n’avaient pas encore fusionné. Mais l’apostasie romaine a fini par prévaloir: rassemblant sous sa bannière les autres hérésies, elle a conféré son propre nom à cette armée hétéroclite, devenant ainsi l’Antichrist historique dont parlent les prophéties.

Nous voyons donc dans la papauté une reviviscence du paganisme, auquel le christianisme avait porté un coup mortel: mais cette blessure mortelle a été guérie. Les oracles païens s’étaient tus, leurs sanctuaires avaient été détruits, et leurs dieux étaient tombés dans l’oubli. Mais la corruption profonde de la nature humaine, qui n’avait pas encore reçu l’effusion de l’Esprit „sur toute chair”, a permis au paganisme de reprendre vie. Sous des dehors chrétiens, on a élevé de nouveaux temples en l’honneur de ce néo-paganisme; on a édifié pour lui un nouveau Panthéon rempli de nouvelles divinités, qui n’étaient autres que les anciennes divinités sous de nouveaux noms. Quelle que soit leur ancienneté ou leur pays d’origine, toutes les idolâtries constituent les développements successifs d’une seule grande apostasie. Commencée en Eden, elle culmine à Rome. Elle consista au départ à cueillir le fruit défendu, et elle atteint son apogée dans la suprématie de l’Evêque de Rome, qui se fait appeler „le Vicaire de Christ” sur la terre. Le premier péché de l’homme consista à vouloir „être comme Dieu”. Ce même péché a atteint son comble lorsque le Pape, s’élevant „au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou qu’on adore… va jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu et se faire passer lui-même pour Dieu” (2 Thessaloniciens 2:4). Le système papal n’est que le développement de la grande transgression originelle. Il est bel et bien l’idolâtrie des origines, mais amplifiée, portée à son degré le plus haut. Le principe destructeur contenu dans ces idolâtries a pris une ampleur sans précédent. Les Chaldéens de l’antiquité rendaient un culte au soleil; les Grecs déifiaient les forces de la nature, et les Romains faisaient des races primitives des divinités: ce ne sont là que des manifestations diverses du même principe néfaste, qui prévaut quand les cœurs sont complètement séparés de Dieu. Le cœur humain se cache alors dans les ténèbres de ses propres pensées corrompues, et s’érige lui-même en dieu.  Le développement le plus redoutable sur terre de ce principe est bien celui du „Mystère de l’Iniquité” dont le siège est établi sur les Sept Collines. En effet, l’homme s’est ainsi déifié lui-même, il est devenu un dieu, et même il s’est arrogé des pouvoirs qui l’élèvent bien au-dessus de Dieu. La papauté est sans doute la forme d’idolâtrie la plus développée, la plus subtile, la plus diabolique que le monde verra jamais. C’est le „nec plus ultra” de la méchanceté humaine, le chef-d’œuvre le plus trompeur et le plus malfaisant de Satan. Après la chute originelle, c’est la pire calamité qui ait frappé le genre humain. S’il s’éloignait encore un peu plus de Dieu, le monde ne pourrait même plus exister. Le ciment qui donne sa cohérence à la société, déjà bien affaibli, serait complètement détruit, et la société se désagrègerait totalement.

Il s’ensuit donc d’après les principes enseignés ci-dessus, que ce qu’on appelle l’Eglise de Rome n’a nul droit de figurer parmi les Eglises chrétiennes. Ce n’est point une Eglise, et sa religion n’a rien de chrétien. Nous parlons couramment du système papal comme d’une forme corrompue du christianisme. C’est trop dire. L’Eglise de Rome est à l’Eglise de Christ ce qu’était la hiérarchie des prêtres de Baal face à l’institution fondée par Moïse. La papauté est à la foi chrétienne de qu’était le paganisme face à la Révélation divine originelle. Le système papal n’est pas seulement corrompu, il représente une transformation radicale. Peut-être est-il difficile de savoir à quel moment, au juste, cette transformation s’est produite; elle n’en est pas moins incontestable. Le système papal est une transsubstantiation qui transforme l’Evangile en une incarnation du paganisme, sous les „accidents” (c’est-à-dire les apparences) du christianisme.

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