Chers lecteurs,

Nous qui pouvons facilement nous procurer la Bible et pratiquer notre foi sans avoir à nous cacher, peut-être sommes-nous enclins à penser que cette liberté va de soi.  Mais nos prédécesseurs dans la foi ont payé le prix suprême pour que plus tard d’autres obtiennent ce grand privilège.

Si l’on accepte le compromis au sujet de la Vérité qui procure le salut éternel, de l’Evangile du salut en Christ seul, par la grâce et la foi seules, alors ce qui reste n’est plus la Vérité et ne peut plus sauver.  Un Denis, un Leclerc, un Pavanne ont compris cela, comme bien d’autres avant et après eux, et comme de nombreux chrétiens dans d’autres régions de notre monde actuel.  Pour eux la Vérité était bien plus précieuse que leur vie physique.  C’est pourquoi ils ont rejoint les témoins dont nous parlent les Saintes Ecritures, ces martyrs qui „par la foi, vainquirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent des promesses… éteignirent la puissance du feu… reprirent des forces après avoir été malades, se montrèrent forts dans la bataille, … éprouvèrent les moqueries et le fouet, bien plus, les chaînes et la prison… dénués de tout, opprimés, maltraités, eux dont le monde n’était pas digne!” (Hébreux 11:33-38).

Nous commettrions une grave injustice, et nous aurions beaucoup à perdre, si nous les oubliions ou si nous minimisions la valeur de leur sacrifice, à l’heure où la tentation du compromis oecuménique est plus forte que jamais dans l’Eglise.

Bien à vous, dans la grâce et la vérité de notre seul Seigneur et Sauveur Jésus-Christ,

Richard Bennett et une équipe de chrétiens francophones.

En 1525 le “Cénacle de Meaux” est dispersé.  Briçonnet abjure.  Le berger succombe, mais les membres les plus humbles du troupeau tiennent bon.  Ils continuent de se réunir pour prier et pour lire les Ecritures ensemble, se donnant rendez-vous dans le grenier d’un cardeur, dans une cabane isolée, ou dans quelque bosquet à l’écart (1).  Cette petite assemblée aura l’honneur de donner des martyrs dont les bûchers brillent comme des phares au sein des ténèbres qui couvrent la France.  Ces martyrs prouveront glorieusement à leurs compatriotes qu’en ce monde une puissance est à l’œuvre, permettant de braver les terreurs de l’échafaud et de la force militaire, et en définitive de surmonter toute opposition.

Voici quelques exemples.  On arrête un certain Denis, un homme d’humble condition, l’un des “hérétiques de Meaux”.  Un peu plus tard, Briçonnet, l’ancien pasteur du troupeau, lui rend visite dans sa prison.  Parfois ses ennemis imposent ce genre de tâche au prélat infidèle, pour lui infliger une humiliation supplémentaire.  Quand l’évêque arrive dans la cellule du malheureux prisonnier, Denis n’en croit pas ses yeux.  Gêné, l’évêque baisse la tête.   D’une voix sans doute bien mal assurée, Briçonnet engage le disciple incarcéré à acheter sa liberté au prix d’une abjuration.  Denis l’écoute un moment, puis se lève et regarde avec fermeté cet homme qui jadis lui prêchait l’Evangile, et qui maintenant cherche à l’y faire renoncer.  D’un ton solennel, il déclare: “Celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux!”  Briçonnet recule et quitte le cachot en chancelant.  Au terme de cette conversation, chacun suit son propre chemin: l’évêque s’en reviendra dans son palais, et Denis sortira du cachot pour monter sur le bûcher (2).  C’est la première page du martyrologe, de ce livre grand et redoutable dans lequel il est si coûteux mais si glorieux d’inscrire son nom. Ce n’est point le livre des morts, mais celui des vivants. Les contemporains de ces hommes descendent dans la tombe et sombrent dans l’oubli, mais les noms des martyrs resplendissent, et le passage des siècles n’ôte rien à leur gloire.  Non seulement ils sont vivants, mais encore la cause pour laquelle ils sont morts est bien vivante aussi, et sur ce sol qu’ils ont arrosé de leur sang, elle triomphera.  Quel spectacle sublime et prodigieux que celui de ces témoins!  On les réduit en cendres, et ils n’en demeurent pas moins vivants!

Considérons un autre de ces pionniers, Jacques Pavanne, natif de la ville de Boulogne, et disciple de Lefèvre.  C’est un jeune homme au caractère particulièrement doux, qui ne paraît guère posséder un naturel courageux.  Il a un bénéfice ecclésiastique, mais n’a pas encore été ordonné prêtre.  Eclairé par la vérité, il se met à enseigner à son entourage que la Vierge est aussi incapable de sauver qu’il l’est lui-même, et qu’il existe un seul et unique Sauveur, Jésus-Christ.  Il n’en faut pas plus pour le faire arrêter et comparaître devant un tribunal.  S’il avait blasphémé contre Christ, on lui aurait pardonné; mais il a blasphémé contre Marie, ce qui est impardonnable.  On le place devant un choix redoutable: se rétracter publiquement ou être brûlé vif.  Terrifié par la perspective de cette mort atroce, Pavanne consent à admettre qu’il a commis un crime en blasphémant contre la Vierge.  La veille de Noël en l’an 1524, on le mène par les rues, tête nue et pieds nus, une corde autour du cou et un cierge allumé à la main, jusqu’à Notre-Dame.  Devant la porte de la cathédrale, il demande publiquement pardon à “Notre Dame” d’avoir mal parlé d’elle.  Sa pénitence accomplie, on le ramène en prison.  Là, au fond de son cachot, il a tout loisir de réfléchir à ce qu’il vient de faire et de penser à des réalités qui sont encore bien plus redoutables que la mort.  Seul avec le Seigneur qu’il vient de renier, il sent son âme plongée dans les ténèbres.  Impossible de se remémorer la moindre promesse biblique réconfortante.  Rien ne soulage la douleur et  l’abattement qui fondent sur lui.  Plutôt affronter cent fois le bûcher que boire une coupe aussi amère!  Pavanne entend la voix de Celui qui s’était tourné vers Pierre et avait posé le regard sur lui.  Le Seigneur lui reproche son péché, et Pavanne pleure aussi amèrement que Pierre.  Sa décision est prise: cessant de soupirer, il confesse à nouveau le Christ.  Son procès d’hérétique et de relaps est bien vite expédié, et on le conduit au supplice sur-le-champ.  Au pied du bûcher il parle du sacrement de la Sainte Cène avec tant de puissance persuasive qu’un docteur de l’Eglise dira: “Ah, si seulement Pavanne était resté bouche close, même si cela avait dû coûter à l’Eglise un million de pièces d’or!” (3).  Les bourreaux se dépêchent d’allumer les fagots.  Pavanne demeure debout et ne faiblit pas.  Bientôt il ne reste de lui que des cendres.

C’est le tout premier bûcher que l’on dresse dans la capitale, et même sur le sol du royaume de France.  Et où le dresse-t-on?   En France, les premiers martyrs de la Réforme sont brûlés sur la Place de Grève à Paris.  Près de trois cents ans plus tard, on ne dressera plus de bûchers dans la capitale, car il n’y a plus de martyrs à brûler.  Mais la France sera visitée par un autre mouvement, par “la Révolution”, et elle possède un sinistre instrument de mort, la guillotine.  Et où celle-ci accomplira-t-elle son atroce besogne?  Justement, sur la Place de Grève à Paris.  Ce n’est sûrement pas par hasard que les premières victimes de la guillotine trouvent la mort à l’endroit même où l’on a brûlé les premiers martyrs de la Réforme.

Le martyre de Pavanne est bien vite suivi de celui de “l’Ermite de Livry”, comme on l’appelle.  Livry est un petit bourg sur la route de Meaux.  Ce confesseur de la foi est brûlé vif sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame.  Ses persécuteurs mettent tout en œuvre pour que le spectacle de sa mort atroce marque durablement les spectateurs.  Le gros bourdon de Notre Dame retentit avec une violence inaccoutumée pour attirer le peuple de toutes parts.  Partout sur le passage du martyr dans les rues, des ecclésiastiques informent les spectateurs qu’il s’agit d’un damné qui marche vers les flammes de l’enfer.   Mais le condamné demeure inébranlable. D’un pas ferme, avec un regard paisible, il va vers le lieu où il livrera sa vie en offrande (4).

Parmi ces premiers martyrs de la Réforme, il en est un autre que nous nous garderons d’oublier. Un des disciples du Christ à Meaux est un humble cardeur de laine appelé Jean Leclerc.  Il doit sa formation au Saint-Esprit, et il a de la Bible une connaissance approfondie.  Aussi courageux que versé dans les Ecritures, après l’apostasie de Briçonnet il s’est levé pour veiller sur le troupeau déserté par l’évêque.  Leclerc n’a jamais reçu la tonsure ni l’imposition des mains; en effet dès ses débuts, l’église chrétienne de France se conforme à la doctrine du sacerdoce spirituel universel.  Mais à Meaux on a rétabli l’ordre ancien: les moines remontent en chaire, plaisantent et jubilent.  Ils s’y livrent à un véritable feu d’artifice, réjouissant par leurs fables ceux des auditeurs qui veulent bien prêter l’oreille (5).  Leclerc s’en émeut; un jour, il appose une affiche sur la porte de la cathédrale.  Il déclare que le Pape est l’Antichrist et prédit la fin prochaine de son règne.  Stupéfaits, les prêtres, les moines et les laïcs prennent connaissance de cet écrit.  Bientôt la stupéfaction fait place à la rage.  Comment supporter qu’un vil cardeur de laine s’attaque au Pontife?  On se saisit de Leclerc, il comparaît devant un tribunal, et pendant trois jours d’affilée on le promène dans les rues en le flagellant.  Pour finir, on le marque au front avec un fer rouge et on le chasse de Meaux.  Pendant toute la durée de ce traitement cruel et humiliant, sa mère le suit et l’encourage à demeurer ferme (6).  Le cardeur de laine se réfugie à Metz en Lorraine.  Déjà cette ville avait connu la lumière biblique, mais avec l’arrivée de Leclerc l’Evangile y accomplit des progrès considérables.  Leclerc va de maison en maison pour prêcher l’Evangile.  Des personnes de qualité, tant clercs que laïcs, adhèrent à la foi réformée.  Ainsi un humble cardeur de laine pose à Metz les fondements d’une église solide.  Leclerc est marqué au front en tant qu’hérétique, mais il n’a rien perdu de son courage et de son zèle.

Malheureusement, ces qualités lui font perdre de vue toute prudence.  Un peu en-dehors de la ville il y a une chapelle consacrée à Marie et aux “saints” de la région.  C’est la fête annuelle.  Demain la population de Metz ira s’agenouiller devant ces divinités de pierre.  Leclerc réfléchit à cette parole de la Bible: “tu briseras leurs statues”.  Il oublie que sa situation est bien différente de celle du peuple à qui ce commandement avait été adressé.  Le soir venu, avant la fermeture des portes de la ville, il sort discrètement et se rend à la chapelle.  En proie à un conflit intérieur, il s’assied devant les statues.  “Poussé par un souffle divin”, dit Théodore de Bèze (7), il se lève, fait tomber les statues de leurs piédestaux, les fracasse et jette les morceaux à l’entrée de a chapelle.  Au lever du jour, il revient dans la ville de Metz.  Sans se douter de ce qui s’est passé à la chapelle, à l’heure fixée les habitants partent en procession.  Celle-ci s’avance, portant des crucifix et des bannières, des cierges allumés et des encensoirs.  Au son des cloches et des percussions, les prêtres psalmodient et la foule chante.  La longue procession s’approche de la chapelle de Notre Dame.  Tout à coup, les instruments et les chants se taisent.  Les bannières s’affaissent sur le sol.  On éteint les cierges et un frisson d’horreur parcourt la foule.  Que se passe-t-il?  Ah, le spectacle épouvantable!  Devant le petit sanctuaire gisent les têtes, les bras, et les jambes des divinités auxquelles la procession venait rendre un culte.  De partout fusent des cris de douleur et de rage.  C’est la débandade: la procession s’en retourne à Metz, bien plus vite qu’elle n’était venue.  Tout le monde soupçonne Leclerc.  On s’empare de lui: il reconnaît qu’il est l’auteur des faits.  Le verdict est prononcé aussitôt et on l’emmène pour le brûler vif.  L’exaspération de ses persécuteurs l’a préparé à subir des tourments épouvantables.  On va lui faire subir ce qu’il a fait aux statues.  Sans flancher, il regarde les terribles préparatifs et supporte qu’on lui inflige des tortures sans nom.  Aucune manifestation de faiblesse ne vient ternir la gloire de son sacrifice.  Tandis qu’on découpe ses membres au couteau, et qu’on déchire ses chairs avec des pinces rougies au feu, le martyr reste debout sur son bûcher, récitant d’une voix forte le Psaume 115: “Leurs idoles sont de l’argent et de l’or, œuvre de la main des hommes.  Elles ont une bouche et ne parlent pas,  elles ont des yeux et ne voient pas, elles ont des oreilles et n’entendent pas, elles ont un nez et ne sentent pas, elles ont leurs mains et ne touchent pas, elles ont leurs pieds et ne marchent pas, elles ne produisent aucun son dans leur gosier.  Ils leur ressemblent, ceux qui les fabriquent, tous ceux qui se confient en elles.  Israël, confie-toi en l’Eternel!  Il est leur secours et leur bouclier.” (Psaume 115:4-9).

Dans son zèle, Leclerc a pu manquer de sagesse, mais il faut reconnaître qu’il fait preuve d’un courage admirable.  Sa mort est vraiment “un acte de foi”.  Par la foi il  surmonte la violence du feu, et plus encore: il surmonte la rage de ses persécuteurs, plus cruelle encore que la violence des flammes qui le consument.  L’auteur des Actes des Martyrs précise que les spectateurs l’observent avec stupéfaction mais non sans compassion.  Plusieurs se retirent et confessent à leur tour ce même Evangile auquel le martyr vient de rendre un si noble et paisible témoignage au milieu des flammes (8).

Réfléchissons un instant au contraste entre ces deux cas, celui de l’évêque et celui du cardeur de laine. “Qu’il est difficile pour les riches d’entrer dans le Royaume de cieux!”, dit notre Seigneur: le cas de l’évêque de Meaux est particulièrement typique et tragique.  “Sa chute, écrit d’Aubigné, est l’une des plus mémorables dans toute l’histoire de l’Eglise.”  Si Briçonnet avait ressemblé au cardeur de laine, peut-être aurait-il pu entrer dans le Royaume de l’Evangile.  Hélas, il s’est présenté à la porte, tout chargé et encombré d’honneurs terrestres. Là où Leclerc s’est efforcé d’entrer, l’évêque s’est laissé arrêter sur le seuil.  Nous ne nous hasarderons pas à imaginer les pensées de Briçonnet, quand il voit les membres de son ancien troupeau monter les uns après les autres sur le bûcher.  Peut-être a-t-il parfois l’impression que la mitre épiscopale qu’il a préservée – à quel prix! – lui brûle le front, et qu’il devrait se lever, laisser là son palais et tous ses honneurs, pour aller rejoindre les membres de son ancien troupeau dans leurs cachots et sur leurs bûchers.  Peut-être la pensée lui vient-elle parfois qu’il devrait suivre ceux qui l’ont devancé, pour hériter avec eux de la couronne de vie et de la palme impérissable, de ces joies et de ces honneurs infiniment supérieurs à tous ceux qu’un pape ou un roi peut conférer.  De toute manière, quelles que soient ses résolutions secrètes, nous savons que s’il a eu de telles pensées, elles ne se sont jamais traduites en actes.  Jamais il ne renonce à son siège épiscopal, jamais il ne vient rejoindre ceux qui professent les doctrines réformées au prix de la persécution et du mépris.  Pourtant il semble avoir réellement goûté la douceur divine des enseignements bibliques: pour les diffuser, il paraît avoir fait preuve d’un zèle ardent et sincère.  Mais jusqu’à sa mort, il reste en communion avec Rome.  Nous ne connaissons pas ses dispositions réelles et profondes.  Est-il interdit d’espérer qu’à sa dernière heure le Maître plein de grâce, qui avait daigné Se manifester à Pierre et à Pavanne, a eu pitié du prélat déchu?  Et que ce dernier, rempli d’une tristesse selon Dieu, versant d’amères larmes de douleur véritable, est entré dans la présence de son Sauveur pour rejoindre la bienheureuse assemblée céleste, désormais le moindre et le dernier de ceux avec lesquels il avait autrefois échangé de saints propos quand il allait avec eux dans la maison du Seigneur?

(De légères modifications ont été apportées à ce chapitre de J.A. Wylie: le terme “Protestant” a été remplacé  par celui de “chrétien biblique”, car c’est ainsi que Wylie définissait ce mot.)

 


Notes:

  1. Laval, vol. 1, p. viii, Dédicace. A consulter également: Petite Chronique Protestante de France de A. Crottet, dans la base de données de “Gallica”, à l’adresse suivante: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k733348/f1.table
  2. Crespin, Martyrologe, p. 102. D’Aubigné, Histoire de la Réformation sous Calvin,     1, pp. 573-574.  Voir aussi les Esquisses Historiques de S. Descombaz, http://www.regard.eu.org/Livres.1/La.reforme1861/01.html
  3. de Félice, vol. 1, p. 11.
  4. Théodore de Bèze, Histoire des Eglises Réformées au Royaume de France, tome 1, p. 4.
  5. Crespin, Actes des Martyrs, p. 183.
  6. Théodore de Bèze, tome 1, p. 4. Laval, vol. 1, p. 23. Félice, vol. 1, p. 10. Guizot, vol. 3, p. 196.
  7. Théodore de Bèze, Icônes. Laval, vol. 1, p. 23. Guizot, vol. 3, p. 196.
  8. Laval, vol. 1, p. 23.

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